Chaque jour, l’actualité, tissée en fils serrés, tresse la corde pour nous pendre.
Un nom, un évènement local, une mesure votée en catimini, une phrase surgissent du néant, répétés, interprétés commentés, relancés et telle la boule dans la passoire du loto, ils tournent et cognent les parois.
Le désespoir étreint quiconque tente d’imaginer le temps qui sépare des élections présidentielles. Des mois d’hiver avant avril. Ciel bas, front bas, relents de vieille bouffe.
Les affiches dans les rues rappelleront que la France n’a pas guéri de tous ses maux et la tête réduite chafouine sur fond de campagne française sera là pour en témoigner. Des enfants facétieux lui auront rajouté une moustache carrée et une mèche à angle droit.
Il suffit d’ouvrir un journal, de regarder un écran ou de lire ses derniers mails pour gâcher sa journée. Blanquer, dans un énième tour de piste de clown triste, accuse les enseignants. De quoi cette fois-ci ? D’être laxistes en matière de laïcité. Heureusement, en dépit de ses amitiés et de ses largesses pour le privé catholique sous contrat, il veille, blâme et punit, ce gardien autoproclamé des « Valeurs Républicaines ».
On passe, trop las pour réagir.
La presse régionale n’est pas en reste qui chronique la vie de tous les jours dans les petits patelins.
En Côte d’Or, comme dans d’autres départements, le préfet ne se contente pas d’inaugurer les chrysanthèmes. Il les plante également et les arrose.
Chargé de mission par Darmanin, porte-flingues de l’intérieur, il fait le ménage dans les dossiers. Le premier sur la pile est celui des demandeurs d’asile, des exilés, des migrants. Beaucoup de retard en dépit du zèle de ses services. Tel guinéen, arrivé à 14 ans, perdu dans la gare, ramassé par la police municipale, envoyé au conseil départemental, déclaré majeur puis os testés, redevenu mineur, a aujourd’hui 19 ans. Le temps de l’OQTF est venu, équivalent administratif de la Bar-Mitzvah, un rite d’entrée dans la majorité !
Et commence alors le big Circus avec toujours les mêmes numéros. La préfecture Barnum, secondée par la Police de l’air et des frontières, déclare que l’acte de naissance du « jeune majeur »est un faux car le tampon est en bas à droite au lieu d’être à gauche. Et l’impétrant doit prouver qu’il est bien né car même de cela, le sous-chef du cabinet du préfet, doute. Il a lu Descartes.
Une des dernières histoires en date pourrait être scénarisée par des show-runners en mal d’inspiration. La série s’intitulerait « Dans l’obscurité profonde ». Une famille d’albanais composée de la mère, du père et de l’enfant est arrêtée au petit matin du 28 septembre à Dijon. Jusque là rien que de très normal. La chasse aux Albanais, suspectés d’ être tous des mafieux interlopes, est ouverte depuis longtemps et trois en une seule prise, voilà de quoi se frotter les mains.
Las ! La virée à Roissy tourne au cauchemar pour les autorités. L’avion, sur le tarmac, attend mais la famille refuse de monter dedans. Retour à l’envoyeur. Dijon au lieu de Tirana.
Cela prend du temps car la mère, le père sont aveugles, trébuchent, marchent lentement et comprennent mal ce que leur petit garçon de 10 ans tente de leur expliquer. La mère traîne la patte depuis qu’elle a eu un cancer.
Un mois après, les trois sont encore là. Les parents n’ont pas recouvré la vue car les miracles n’existent pas, le gamin tremble quand il retourne à l’école et la mère se demande bien comment elle sera soignée si on la renvoit en Albanie, pays qui, jusqu’à une date récente, disposait de cinq appareils de radiothérapie pour presque 4 millions d’habitants sur l’ensemble de son territoire.
Tout a déjà été dit et écrit sur cette France des préfectures qui, sur ordre de l’état, expulse sans scrupules, y compris des Afghans, récemment arrivés de Kaboul, chassés par les Talibans de 2021 qui, quelques journaux le répètent, de moins en moins d’ailleurs, ne sont pas les mêmes que leurs aînés des années 2000. Les nouveaux roulent dans des 4/4 hybrides car ils ont conscience des enjeux écologiques.
Tout a été dit mais les limites sont sans cesse repoussées. Que les tarmacs des aéroports soient foulés par des malades et des éclopés parce qu’un préfet a mandat pour épurer, est même un spectacle qui n’étonne pas. La France de 2021 ressemble de plus en plus à un employé des Pompes Funèbres pénétré de la solennité de sa mission et les français, à des endeuillés accablés de chagrin.
On peut donc expulser un couple d’aveugles, un petit garçon scolarisé en CM2, une femme entre deux chimiothérapies sous prétexte qu’ils ont fui un pays qui de l’avis du quai d’Orsay, est une démocratie en cours de reconstruction. Un pays juvénile en quelque sorte, sans casseroles au cul ni passé, ni tentations autoritaires.
Et il faudrait rester calmes, parler de façon mesurée au préfet pour ne pas lui déplaire. Les associations le savent ou du moins le craignent si, lors d’une audience, on froisse la susceptibilité d’un représentant de l’état, on court le risque de le voir se refermer comme une huître, pire il peut avoir envie de se venger. Il boude ce monsieur, il supporte mal qu’on lui rappelle certaines évidences (non, on ne déscolarise pas un enfant au mépris du Code de l’Education, article L 111-1,on n’interrompt pas un traitement médical à moins de forcer les médecins à trahir le serment d’Hippocrate, on ne soupçonne pas les pays africains de produire des faux à la chaîne), il est un totem que l’on aborde avec beaucoup de tabous.
Ce texte, un de plus, s’adresse donc au préfet de Dijon. Il ne diffame pas. Seul un acte aussi cruel que l’expulsion de parents avec un handicap, de leur petit garçon, Rizart, diffame. Une diffamation morale qui ne pèse rien aux yeux des préfectures de France qui font le sale boulot qui leur est demandé. L’honneur perdu de la cinquième République. .
Le Préfet est-il capable de dire, au moins une fois dans sa carrière que les collectifs, les associations ont raison. Je ne peux renvoyer une famille en Albanie sans me soucier de son avenir et sans me demander si je ne la mets pas en danger.
Oui ? Alors que le préfet foute la paix à cette famille, lui donne un titre de séjour et aille jusqu’au bout du processus, l’invite à le rencontrer et lui explique pourquoi, un 28 septembre 2021, elle s’est retrouvée sur le tarmac d’un aéroport avec un garçonnet en pleurs, au pied d’une passerelle.
Je viens d’apprendre qu’à une autre famille, on avait demandé les dimensions du fauteuil roulant du père qui a un handicap moteur.
Ces avions aux portes étroites, quelle guigne !
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