Incendie d’abattoir : un·e militant·e de la cause animale perquisitionné·e à Dijon



Mercredi matin à Dijon, Pan, « artiviste » dont le travail mêle antispécisme, art contemporain et street art s’est fait perquisitionner à son domicile par une unité spéciale de gendarmerie. On est allé à sa rencontre pour qu’iel nous parle de sa perquisition, de ce dont on l’accuse, et de son projet.

Mercredi matin tu t’es fait perquisitionner. Est-ce que tu peux nous raconter comment ça s’est passé ?

La perquisition a eu lieu mercredi [le 15 mai 2019 NdA] à 9h du matin, on m’a demandé de venir chez moi, parce que je n’y étais pas, et là j’ai rencontré quatre gendarmes qui m’ont accueillis à leur manière. Ils m’ont tout de suite demandé de poser mon ordinateur, mon téléphone portable sur la table, et puis ils les ont mis sous scellés, ils m’ont dit qu’ils allaient les saisir. La première question qu’ils m’ont posé c’est "avez vous participé à une destruction d’abattoir en bande organisée dans l’Ain, l’abattoir Gesler qui se trouve à Hotonne dans la nuit du 27 au 28 septembe 2018. Je leur ai dit que non, ils m’ont dit que si, et ils m’ont dit qu’ils allaient procéder à la perquisition. Ils sont entrés dans ma chambre à quatre, et ils ont tout fouillé. Ca a duré à peu près 2h. Ils ont saisi des bouquins militants, des bouquins antispécistes où j’avais souligné des trucs, ça les faisait flipper, des bouquins anarchistes, des dépliants des faucheurs d’OGM, mes carnets de notes. Et ils ont aussi saisi mes pièces de puzzle, sans lesquels je peux pas faire mon projet, et mes affiches que je collais en ville. Ils m’ont demandé de me rendre, l’après-midi, à la gendarmerie Joffre.

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On reviendra plus tard sur ces pièces de puzzle et le collage, pour le moment tu peux nous expliquer pourquoi tu as été convoqué·e à la gendarmerie et pas au commissariat de police ?

En fait les gendarmes qui m’ont perquisitionné font partie d’une unité spéciale de recherche venue de Rhône-Alpes, région dans laquelle s’est passée la destruction de l’abattoir. L’incendie qui a dégradé l’abattoir a « bien fonctionné », c’est une des plus grosses destructions d’abattoirs en France, et ils n’ont retrouvé aucun des acteurs ou actrices de cet incendie. Ca s’est donc passé à la gendarmerie avec une unité spéciale, le reste de la gendarmerie n’était même pas au courant de cette affaire en fait, elle n’avait aucune information.
J’ai été auditionné·e là-bas, avec trois gendarmes, et ma mère aussi était convoquée, je sais pas pourquoi, de quel droit elle a été auditionnée, mais on nous a pas vraiment demandé notre avis. Elle a été auditionnée pendant une heure et demi - deux heures. On lui a posé beaucoup de questions sur moi, mon état psychologique, mes luttes, mes motivations. On lui a aussi demandé si je découchais souvent, mais bon, je suis majeur·e (rire). Et puis évidemment si j’avais participé à des actions violentes, des manifs de gilets jaunes, ce genre de choses.
Moi au début ils m’ont posé des questions sur mon identité, comment je m’appelle, où est-ce que je suis né·e, mais aussi sur mes opinions politiques, en s’attardant beaucoup sur des termes comme « queer », « antispéciste », « anarchiste », « antifa », dont certains avaient l’air de bien les faire flipper.
Ensuite ils m’ont posé des questions sur l’acte en soi, sur l’abattoir. Ils m’ont demandé quels liens j’avais avec d’autres villes et ils m’ont aussi posé pas mal de questions sur les gilets jaunes.
J’avais collé une affiche pendant une manif de gilets jaunes, en même temps qu’une marche pour le climat qui s’étaient rejoints place de la République, y avait eu des concerts, moi j’avais collé mon affiche là-bas à ce moment là, et ils avaient l’air vraiment inquiétés par ce sujet, ils pensaient vraiment tenir une piste.
Dans l’ensemble ils ont fait beaucoup de pressions psychologiques et morales, mais ils m’ont surtout montré des photos de moi entrain de faire un collage en ville, à Dijon, il y a plus d’un mois ! C’était des photos à hauteur de visage, donc pas prises par de la videosurveillance mais par des indics, ce qui m’a bien fait flipper.
C’est là qu’ils m’ont demandé pourquoi j’avais envoyé une pièce de puzzle à l’abattoir Gesler.

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Revenons donc à ces pièces de puzzle. De quoi s’agit-il, et comment les flics ont lié ces pièces, l’incendie des abbatoirs Gesler et toi ?

Je mène un projet depuis 66 jours, une sorte de commande, je devais faire une oeuvre sur le temps qui passe, de manière quotidienne, en tous cas régulière, sur un plutôt long terme. Moi j’avais choisi de parler de la vie d’un veau, parce que ca permettait d’évoquer l’exploitation animale, tant au niveau de la viande du veau qui est tué à 90 jours en moyenne en France, un bébé quoi, et en même temps de parler de la production de produits laitiers. Donc vraiment parler d’antispécisme et de véganisme.
Pour ça j’ai créé un puzzle ouvert, sur fond rouge, sur lequel j’ai dessiné les contours d’un veau en noir, puzzle que j’ai doublé. Tous les jours je prenais une pièce de puzzle et je l’envoyais dans un abattoir, à chaque fois dans un département différent par ordre croissant. Le premier jour je l’ai donc envoyé dans le département 01, l’Ain, à l’abattoir Gesler. Ensuite le département 02, etc. J’envoyais juste la pièce de puzzle avec derrière les coordonnées du compte instagram sur lequel on peut suivre toute l’évolution du projet. En même temps, tous les jours je faisais une affiche avec l’évolution du puzzle, qui s’agrandissait de jour en jour, et en bas de l’affiche un numéro, du type « J1 : 523 », et 523 c’est la Tonne Équivalent Carcasse (TEC) de veau produite chaque jours en France. Donc de jours en jours on voit le chiffre qui grandit, qui grandit, et c’est hyper alarmant.
Cette affiche je la collais en ville, dans des lieux différents, et je prenais le doublon de la pièce de puzzle, que je collais en ville sur un parcours prédéfini qui dessine quelque chose, mais je ne dis pas encore quoi, parce que normalement ca ne se découvre qu’à la fin, et même si on m’a interdit de continuer le projet de collage je vais le continuer d’une autre manière, j’ai déjà mes idées. Ils n’ont pas supprimé mon compte, ils m’ont interdit de continuer mais sans aucun motif valable, ni énoncé, en me disant juste que c’était illégal, que si je continuais la juge d’instruction n’allais pas apprécier.
Après je prenais en photo l’affiche et la pièce de puzzle et je les mettais en ligne sur mon compte Instagram.

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Quelques jours avant ta perquisition tu avais donné une interview dans le Bien Public, tu penses que ça a un rapport ?

Oui, je pense que si ça a eu lieu ce jour là c’est parce que l’article était sorti la veille. C’est moi qui avait contacté le Bien Public pour donner de la visibilité à ce projet, qui est un gros projet, et qui me tient à coeur. Mais je voulais qu’on parle du projet et pas de moi, c’est pour ça que je reste anonyme [1]. J’avais demandé à la journaliste de ne pas mentionner mon age, ni mon nom, ni mon sexe, aucune informations personnelles et évidemment de ne pas mettre de photos de moi, mais l’article est sorti avec mon nom, écrit de façon genrée, et avec une photo où je suis reconnaissable dans une ville comme Dijon. Je pense que c’est vraiment la raison pour laquelle les gendarmes sont intervenus le lendemain.

C’est quoi les suites juridiques pour toi ? Tu as parlé d’une juge d’instruction, d’interdictions, ca veut dire que tu es mis·e en examen, que tu es sous contrôle judiciaire ?

Ils m’ont donné très peu d’informations, je sais pas exactement ce qu’il va se passer, surtout que j’étais pas préparé·e, j’avais jamais eu affaire à ce genre de cas, je connaissais pas vraiment mes droits lors de l’audition et évidemment on me les a énoncés pas clairement. Par moment les gendarmes m’ont dit que ce que je faisais était illégal, alors que ça ne l’est pas.
Je sais pas comment ça va se passer. Je sais que toutes les affaires qui m’ont été saisies sont analysées de fond en comble, c’est tout.

Tu n’as pas de convocation, de notification de mise en examen ?

Non, rien du tout, j’attend juste des informations de la juge d’instruction.

Et ton projet du coup tu vas continuer ?

Comme je peux pas continuer les collages, et qu’ils ont perquisitionné tout mon matériel, peinture etc., je peux pas continuer le projet, mais une partie du projet continue sans moi : les animaux coninuent à crever, donc je vais le continuer autrement dés que j’aurais un ordinateur. Je vais continuer le compte des animaux tués. J’ai aussi rajouté du texte sur le compte Instagram, pour expliquer notamment ce qui vient de m’arriver, et depuis j’ai reçu plein de messages, y compris de gens que je connais pas forcément, qui sont pas forcément à Dijon, et qui veulent reprendre le projet. Et pour le reste j’ai mes idées, mais je le dis pas pour l’instant, j’ai envie de garder le mystère, et je sais pas si ça plairait à la gendarmerie !


Pour creuser la question de l’antispécisme et de ses liens avec d’autres luttes quelques conseils de lecture de Pan :

  • « Anarchie et cause animale », sorti en 2015 dans les Editions du Monde Libertaire et coordonné par Philippe Pelletier
  • « Queers Féministes Antifascistes Vegan.e.s », un fanzine réalisé par les Panthères Enragées


Notes

[1sur les raisons de cet anonymat et pour de plus amples explications sur le projet vous pouvez consulter le compte instagram de Pan

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