Était-il opportun de traquer un jeune homme en fuite à pied, peut-être alcoolisé, éreinté par sa course-poursuite, sur une zone qu’il ne connaissait pas, en pleine nuit, à deux pas d’un cours d’eau, dans les bois, à flanc de falaise, alors qu’aucun délit grave ne lui semblait imputable ?
Une petite embrouille de night-club.
Dans la nuit du samedi 23 au dimanche 24 juillet, un jeune homme de vingt-cinq ans est recalé de la boîte de nuit « le QG » à Besançon. Une altercation s’en serait suivie avec les membres de la sécurité qui l’ont pourchassé, avant que la police ne prenne le relais. Juché sur les flancs abruptes de la citadelle, l’individu fait une chute mortelle de sept mètres. Alors que l’enquête débute, c’est la version factuelle qui aurait pu sortir. Mais les premiers à faire leurs choux gras sont les fins limiers de l’Est Républicain (ici et là), quotidien connu pour ses propensions récurrentes au journalisme de Préfecture (exemple).
Ici pas d’exception, les sources juges et parties succèdent aux tournures subjectives et usages de novlangue. Seule la version des flics et des tauliers (dont un historique est passé par la BAC) est rapportée, dressant un scénario où les protagonistes seraient plus blancs que blancs. À l’exception du mis en cause, évidemment. Lui, quand il s’est présenté à 03h30 avec ses amis, il était « excité », « nerveux », « insultant », « agressif » et « menaçant. » Une pléiade de qualificatifs, aggravés au fil des dates et médias. Quant à décrire quelle fut la nature exacte de ce comportement délétère, ça sera silence radio.
Toujours est-il qu’un serveur aurait indiqué avoir aperçu le client éconduit en train de « donner des coups dans une caméra », quelques minutes après cette première scène. L’indélicat est interpellé et retenu par le service d’ordre, alors que la police est dépêchée sur place. Jusqu’alors, l’histoire est banalement insignifiante : une petite embrouille de night-club, comme il en arrive chaque jour ou presque… un tour au poste dans le pire des cas, et tout le monde oubliera ses excès de la veille. Mais le jeune homme parvient à fausser compagnie à ses geôliers, s’enfuyant sans demander son reste.
Une véritable chasse à l’homme.
C’est alors qu’il est pris en chasse, dans les rues de la capitale comtoise. Un périple de plus de cinq-cent mètres, avec un pont à franchir et une départementale à longer. Jusqu’au secteur Tarragnoz, où la cible est assiégée sur un éperon rocheux par le patron. Entre sécurité privée et dérapages miliciens, il y’aurait déjà là une confusion des genres… en effet pour le staff, la déontologie professionnelle découlant du code de la sécurité intérieure ne prévoit pas un tel champ d’action. Mais les flics débarquent et prennent les choses en main, rabrouant l’intéressé et l’éclairant avec une lampe-torche. Patatras, il tombe.
Aucun journaliste ne prendra la peine de questionner cet enchaînement au relent de hallali, par exemple en poussant le principe de proportionnalité : quel ratio entre la gravité des infractions discutées, la dangerosité présumée de l’individu, et les risques inhérents à l’engagement et au maintien de ces poursuites… en somme était-il opportun de traquer un jeune homme en fuite à pied, peut-être alcoolisé, éreinté par sa course-poursuite, sur une zone qu’il ne connaissait pas, en pleine nuit, à deux pas d’un cours d’eau, dans les bois, à flanc de falaise, alors qu’aucun délit grave ne lui semblait imputable ?
La victime n’a pas été salie par la sempiternelle mention « connue des services », exhumée pour couvrir interrogations et bavures (édit : un second article retrouvera ce réflexe sordide). C’est que le portrait dressé par ses connaissances tranche avec l’incident, décrivant une personne posée et sérieuse. « Il m’avait demandé des conseils pour créer son entreprise, on devait se voir à la rentrée… » indique un entrepreneur originaire des Clairs-Soleils, où vivait le gamin. Mais pourquoi la presse s’embarquerait dans un minimum de réflexion et de nuance, il ne s’agit que de la vie d’un jeune beur de quartier après tout.
Mise à jour : suites et réactions.
(lundi 25 juillet) Alors que le Parquet de Besançon annonçait privilégier la piste d’une « mort accidentelle », notre article a rapidement suscité de nombreuses réactions du monde associatif et politique. À l’image des publications de Rémy Vienot (Espoir et Fraternité Tsiganes de Franche-Comté), Khaled Cid (le Phare de l’Espoir), Frédéric Vuillaume (Force Ouvrière, Gilets Jaunes), Séverine Véziès (NUPES/LFI), ou encore Hasni Halem (NUPES/PCF). Tous dénoncent les conditions d’un tel drame et réclament des comptes, collectes, pétitions et mobilisations étant désormais par ailleurs évoquées.
(mardi 26 juillet) Le Procureur de la République Étienne Manteaux et le DDSP du Doubs Yves Cellier ont tenu à apporter des précisions, par médias interposés (ici nos confrères de MaCommune.info). Ils insistent sur le fait que les policiers seraient arrivés après la course-poursuite initiée par le gérant, indiquant que « ce n’est pas la chasse à courre. » Et que les uniformes comme le jeune homme n’avaient « pas vu la dangerosité du terrain » et « n’imaginaient pas qu’il y avait un trou juste derrière », concluant qu’il est « lamentable et attristant pour la famille et au niveau sociétal de perdre la vie comme ça. »
Ainsi les Autorités s’entêtent à assener que « ni l’intervention des forces de l’ordre, ni celle des responsables de la boîte de nuit n’ont un lien avec la chute mortelle » (lien). Mais dans le même temps, le père de Seïf vient de déposer plainte pour « homicide involontaire » sous l’égide de Maître Myriam Kabbouri. La famille souhaite ainsi que « toute la vérité soit faite, de manière rigoureuse et impartiale. » Un mouvement de solidarité s’est mis en place afin de soutenir moralement et financièrement les proches, alors qu’une marche blanche est prévue ce samedi 30 juillet à 17h00 place Louis Pasteur. .
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